Jean-Philippe Charbonnier (1921 – 2004) est le photographe phare de Réalités.
Il est le premier recruté, le plus publié, le plus grand voyageur,
celui qui est resté le plus longtemps, le seul à avoir eu le titre de
chef des reportages. Il a une très forte personnalité. Et son style est
sans doute le plus adapté à celui de la revue. Il est enfin le seul
photographe à avoir quitté, puis retrouvé le mensuel, en 1956, après
avoir tenté l’aventure dans un nouveau journal, Le Temps de Paris,
pour s’y occuper de la maquette. Avant d’être embauché, Charbonnier est
sollicité pour quelques reportages, en 1949, par le directeur des
services techniques, Jean Manevy, qui quitte la revue en décembre 1951
un an après l’arrivée de Charbonnier. Les deux hommes se sont retrouvés
en Suisse, en 1944, où le photographe s’est réfugié pour échapper au
Service du travail obligatoire.
A la fin de cette même année, Manevy le fait entrer au quotidien Libération, où Charbonnier travaille à la mise en page. Il collabore aussi à France Dimanche dont la formule est élaborée par Manevy. Travailler de jour à France Dimanche et la nuit à Libération devient intenable. Charbonnier rejoint alors Albert Plecy à Point de vue – Images du monde. Pendant six mois, on lui demande de faire du « photo-journalisme », c’est-à-dire prendre les photographies tout en réalisant enquêtes et interviews.
Il explique combien l’entreprise est impossible: « Prenons l’exemple de l’affaire de Marie Besnard (une empoisonneuse inculpée pour douze meurtres, en 1949) : le reportage durait trente-six heures. Dans le train, je lisais dix-huit numéros de Détective, j’arrivais là-bas, je faisais toute mon enquête sur l’affaire. Je passais la nuit entière avec le notaire pour faire tout l’arbre généalogique de ce qu’elle avait rapporté des héritages, je faisais des photos, je rentrais chez moi dans la nuit, je développais les films. Quand ils étaient en train de sécher, je commençais à écrire mon papier. A dix heures du matin j’arrivais complètement abruti à Point de vue.
A la fin de cette même année, Manevy le fait entrer au quotidien Libération, où Charbonnier travaille à la mise en page. Il collabore aussi à France Dimanche dont la formule est élaborée par Manevy. Travailler de jour à France Dimanche et la nuit à Libération devient intenable. Charbonnier rejoint alors Albert Plecy à Point de vue – Images du monde. Pendant six mois, on lui demande de faire du « photo-journalisme », c’est-à-dire prendre les photographies tout en réalisant enquêtes et interviews.
Il explique combien l’entreprise est impossible: « Prenons l’exemple de l’affaire de Marie Besnard (une empoisonneuse inculpée pour douze meurtres, en 1949) : le reportage durait trente-six heures. Dans le train, je lisais dix-huit numéros de Détective, j’arrivais là-bas, je faisais toute mon enquête sur l’affaire. Je passais la nuit entière avec le notaire pour faire tout l’arbre généalogique de ce qu’elle avait rapporté des héritages, je faisais des photos, je rentrais chez moi dans la nuit, je développais les films. Quand ils étaient en train de sécher, je commençais à écrire mon papier. A dix heures du matin j’arrivais complètement abruti à Point de vue.
Le premier reportage que Charbonnier réalise pour Réalités
est destiné à illustrer un article sur l’expansion économique en
Auvergne: « il faut que nous gagnions des dollars… mais comment ? »
(janvier 1950). Le deuxième est consacré à la « Condition du salarié
français » où il doit décrire les temps forts d’un homme au profil bien
précis: « c’était un type du métropolitain qui habitait à Robinson dans
une HLM de l’époque ( ce qu’il mange ; avec sa famille ; dans son bain ;
en train d’aller au travail). Pendant des années, on a fait ce genre de
trucs démantibulés, comme Life en
faisait alors. Le reportage, en janvier 1950, s’étale sur deux bandeaux
horizontaux comme une bande dessinée. Il se souvient surtout d’Anvers,
en Belgique, comme étant son « premier grand reportage ».
A son retour, on lui propose d’entrer au fixe : « J’avais aimé Anvers, on avait aimé mes photos. » Son nom, pourtant, n’apparaît dans l’ours qu’un an plus tard, en janvier 1951. Tout au long de l’année 1950, Charbonnier ne cesse de travailler et enchaîne les sujets de société, en France et en Europe, par exemple « J’ai été vendeuse dans une grande maison de couture » (avril 1950) ou « La journée de Herr Max Brauer maire de Hambourg » (juillet 1950).
A son retour, on lui propose d’entrer au fixe : « J’avais aimé Anvers, on avait aimé mes photos. » Son nom, pourtant, n’apparaît dans l’ours qu’un an plus tard, en janvier 1951. Tout au long de l’année 1950, Charbonnier ne cesse de travailler et enchaîne les sujets de société, en France et en Europe, par exemple « J’ai été vendeuse dans une grande maison de couture » (avril 1950) ou « La journée de Herr Max Brauer maire de Hambourg » (juillet 1950).
Arrivent
les premiers voyages, en Afrique d’abord, au Gabon en compagnie de
l’écrivain Philippe Soupault. Ce périple leur fournit la matière de
trois articles dont « Albert Schweitzer » (juillet 1951) et « Les
espoirs de l’AEF (Afrique équatoriale française) » (février 1952). On
suit Charbonnier en Turquie, en Yougoslavie, au Canada et au Kenya.
Curieusement, de 1951 à 1953, pour nombre de reportages, son nom ne
figure pas dans le pavé des crédits, comme si en entrant dans le staff
de la revue il avait perdu son identité de photographe : « la vie
ingrate et magique du médecin de campagne », « le gouvernement de Bonn
», ou « Bordeaux et ses notables » sont simplement signés « Reportages
spécial Réalités » : « On a
gueulé, on a réussi à obtenir notre signature dans un encadré et parfois
même à côté de quelques reportages, se souvient-il. En fait, il n’y a
pas de politique claire de la revue en la matière.
Lors de la publication de l’article « L’espionnage au cœur de l’Europe », en mars 1951, on peut lire dans la légende: «Sur les traces du « Troisième Homme », le photographe de Réalités J.-P. Charbonnier a découvert dans le vieux Vienne des ruelles plus sinistres que celles où rôda Harry Lime. Et, pour la première fois, en décembre 1951, son nom figure en tête de l’article sur les Touareg avec celui du rédacteur Pierre Gosset.
Lors de la publication de l’article « L’espionnage au cœur de l’Europe », en mars 1951, on peut lire dans la légende: «Sur les traces du « Troisième Homme », le photographe de Réalités J.-P. Charbonnier a découvert dans le vieux Vienne des ruelles plus sinistres que celles où rôda Harry Lime. Et, pour la première fois, en décembre 1951, son nom figure en tête de l’article sur les Touareg avec celui du rédacteur Pierre Gosset.
Au
milieu des années 1950, les reportages à l’étranger de Charbonnier
rendent compte, avec des textes souvent signés par le couple Gosset, de
terres méconnues des touristes et même des voyageurs. Les titres et
sous-titres des articles insistent sur cette invitation à la découverte:
« Bénarès la ville sainte aux rites horribles et magnifiques », « Les
secrets de la mer Rouge », « le Siam, dernier îlot paisible de l’Asie »,
« Scènes de la vie martiniquaise », « un peuple mystérieux: les Druzes
», « la stupéfiante ascension du Brésil », « Bonjour Philippines ! », «
Haïti. Une île où l’on peut aller passer ses vacances ». Il peut
s’écouler plusieurs mois entre le séjour et la publication: présent en
Martinique en 1953, son reportage est publié en avril 1954.
Charbonnier accomplit même un tour du monde en 1955 pour un numéro spécial. Cet homme extraverti, « naturaliste désinvolte » comme l’a qualifié Tournier, qui a la réputation de produire beaucoup d’images, semble aussi pouvoir obtenir tout ce qu’il veut. Les archives de l’agence Top-Réalités témoignent de son activité bouillonnante. Il réalise quantité de films pour un seul reportage. A propos de son premier sujet à l’étranger, à Anvers, il écrit : « Je décortiquais tout, jour et nuit. » D’une curiosité insatiable, Charbonnier est le plus journaliste de l’équipe, imprégné de cet état d’esprit depuis son passage à Libération et à Point de vue.
Ses images racontent le quotidien des hommes, jamais la politique des gouvernants. Certains sont prises dans la rue, à la volée, et d’autres sont posées. Ses photographies sont toujours compréhensibles par le lecteur, centrées sur le personnage principal, sans effets de cadrages inutiles, sans dramatisation du tirage, évacuant le lyrisme facile. Lors des prises de vue, il ne tergiverse pas, ne cherche pas à passer inaperçu et se confronte aux gens, sans empathie excessive. Il ne les flatte pas ni ne les ridiculise. Il cherche à tirer au plus juste et se montre souvent corrosif. Ainsi, la revue a vanté sa vision incisive.
Charbonnier accomplit même un tour du monde en 1955 pour un numéro spécial. Cet homme extraverti, « naturaliste désinvolte » comme l’a qualifié Tournier, qui a la réputation de produire beaucoup d’images, semble aussi pouvoir obtenir tout ce qu’il veut. Les archives de l’agence Top-Réalités témoignent de son activité bouillonnante. Il réalise quantité de films pour un seul reportage. A propos de son premier sujet à l’étranger, à Anvers, il écrit : « Je décortiquais tout, jour et nuit. » D’une curiosité insatiable, Charbonnier est le plus journaliste de l’équipe, imprégné de cet état d’esprit depuis son passage à Libération et à Point de vue.
Ses images racontent le quotidien des hommes, jamais la politique des gouvernants. Certains sont prises dans la rue, à la volée, et d’autres sont posées. Ses photographies sont toujours compréhensibles par le lecteur, centrées sur le personnage principal, sans effets de cadrages inutiles, sans dramatisation du tirage, évacuant le lyrisme facile. Lors des prises de vue, il ne tergiverse pas, ne cherche pas à passer inaperçu et se confronte aux gens, sans empathie excessive. Il ne les flatte pas ni ne les ridiculise. Il cherche à tirer au plus juste et se montre souvent corrosif. Ainsi, la revue a vanté sa vision incisive.
Texte : Anne de Mondenard et Michel Guérin
«
Réalités, un mensuel français illustré (1946 – 1978) », édition Actes
Sud / Maison européenne de la photographie, février 2008, pages 68 – 71.